Docta, artiste graffeur : « Le graffiti dans son évolution, tient compte de notre environnement »

Artiste graffeur, Docta, de son vrai nom Amadou Lamine Ngom, est un des pionniers du graffiti au Sénégal et en Afrique. Trouvé dans son atelier au Centre culturel Blaise Senghor, l’artiste revient sur son parcours de graffeur engagé et rappelle que le graffiti est un art qui a toujours été au service de l’environnement « d’une façon ou d’une autre ».

Docta, artiste graffeur : « Le graffiti dans son évolution, tient compte de notre environnement »

Docta et le graffiti, n’est-ce pas une longue histoire ?

35  ans de vie, durant laquelle  j’utilise cette  expression qu’est le graffiti. Des années au cours desquelles, j’ai travaillé pour donner à cet art sa lettre de noblesse. Au Sénégal, je suis le fondateur de la première structure de graffiti appelée Doxandem Squad, qui a été  à l'origine  du premier festival international du graffiti appelé « Festigraff », il y a 13 ans. Je suis aussi co-initiateur de beaucoup d’autres festivals dans une dizaine de pays en Afrique. Nous sommes actuellement en train de former la cinquième et sixième génération de graffeurs au Sénégal et en Afrique.

Que représente le graffiti pour vous ?

C’est tout d’abord une passion, mais aussi un moyen qui me permet de m'exprimer et de partager mon point de vue sur le développement de mon pays, de l'Afrique et du monde. A travers cet art, j’arrive aussi à aider d’autres à avoir des ouvertures et de l'espoir dans leur passion et dans leur développement personnel. Parce qu’à travers le graffiti, j'arrive à former et à coacher des personnes pour qu’elles puissent avoir, elles aussi, un point de vue sur le développement de leur continent, avoir une vision panafricaine.

Le graffiti, c’est aussi pour moi un art qui contribue au bien-être des populations. Il développe l'entrepreneuriat chez des artistes qui sont des porteurs de voix, et des créateurs de contenu. Des personnes qui se donnent cette obligation de faire développer cette forme d’expression et qui doivent vivre de ça.

“Lorsque je fais des fresques, c'est une partie de moi que je mets sur cette œuvre”

Des fresques murales, un peu partout à  Dakar. Nous, spectateurs, les interprétons à notre façon, qu’est-ce que cela représente pour vous en tant qu’artiste ?

Lorsque je fais des fresques, c'est une partie de moi que je mets sur cette œuvre. En fait, les graffeurs sont très thématiques. Et c'est d’ailleurs ce qui fait la particularité du graffiti africain, particulièrement sénégalais. Donc en tant que graffeurs, quand on prend le temps de s'exprimer sur un thème, c'est de l’engagement  auprès de notre Communauté, notre continent. Et aussi, chaque fois, l'apprentissage qu'on a eu de nos guides, tels que Mame Cheikh Ibrahima Fall,  se reflète sur notre travail.

 Chaque fresque que l’on fait, c’est une partie de nous qu’on y laisse, une partie de notre âme. Et le temps que nous mettons  pour réaliser une fresque, on peut plus le récupérer. Chaque œuvre est  particulière et unique ; le moment de réalisation, les situations atmosphériques et  spirituelles qui  ont bouilli à l'intérieur de l'artiste, font que toutes ces fresques et autres resteront à jamais une partie de nous. Des œuvres  données généreusement aux populations qui, en les regardant,  comprennent l'agencement même des couleurs, l’esthétique… et cela peut les rendre gais, leur permettre  d’avoir une autre vision.

Vous êtes engagé à travers votre art, cet engagement, n’est-ce pas, veille à l’évolution de votre société, du monde …?

Oui, ça s'adapte à toutes les situations. Comme on aime à le dire souvent, le Saint Coran ne change jamais, mais s'adapte à chaque moment de l'évolution de l'existence humaine.  Oui,  mon engagement s'adapte à la réalité. Et  à chaque fois qu'il y a un problème, je m’y  mets pour pouvoir donner des points de vue, avoir ma vision par rapport à un  problème, tout  essayant d’y apporter une solution. Cet engagement peut être lié à   l'éducation, à la santé, la politique, l'insécurité… L’engagement ne s'arrête jamais !

Actuellement le monde fait face à des problèmes qui menacent son environnement : Pollution de tout genre... L’Art peut-il être mis au service de l’environnement pour aider à éradiquer des fléaux de ce genre ?

L’Art est déjà au service de l'environnement ! Lorsque nous faisons nos œuvres, nous tenons compte de  tout ce qui tourne autour de nous.  Parce que, déjà,  quand on arrive dans un espace, on le rend propre et  agréable au regard à travers notre art. Avec des fresques murales, par exemple. C’est comme lorsque vous décidez de rendre visite à une personne, la première chose à laquelle elle pourrait penser à faire, c’est nettoyer et aménager pour pouvoir bien accueillir. Nous, graffeurs, avons intégré cette attitude sénégalaise, africain ou encore humaine dans ce que nous faisons. Des fois, tu te retrouves dans un endroit où le mur n’est pas du tout agréable à regarder, souillé d’affichages sauvages qui le privent de sa valeur. On prend le temps de le nettoyer,  lui redonner vie avant même d’y apposer notre œuvre. Cela nous permet donc de faire revivre l'environnement dans lequel on se trouve.

Pour le Coronavirus, vous avez eu à faire de la sensibilisation, qu’en est-il du changement climatique qui, aujourd’hui, est presque sur toutes les lèvres?

On a travaillé  sur cette thématique. Par exemple pour l'autoroute à péage, une structure était venue nous voir faisant savoir qu’elle souhaitait bien qu'on travaille sur ce thème de changement climatique. L’idée, c’était de faire de la sensibilisation. On a travaillé là-dessus, les fresques existent depuis maintenant 7 ans. On a fait ce travail, et on ne s'arrête pas !

“Pour moi, au lieu de jeter des objets, on peut en ressortir une œuvre d’art.  C’est de la continuité, de la création, du respect pour l'environnement”

D’une autre manière est ce que l’Art ne s’approprie pas de la cause environnementale en ce sens que l’artiste s’oriente vers la récupération de déchets quelle que soit leur nature pour en faire des œuvres ?

Evidemment ! Le graffiti dans son développement, nous permet de pouvoir tenir compte de notre environnement. Cela fait que nous, nous  réutilisons beaucoup d’objets et d’outils pour en faire des œuvres. Déjà, artistiquement, tout est réutilisable. Rien ne se jette ! Alors à chaque fois que l’on finit une œuvre, pour nous, les outils sur lesquels on a travaillé, ont, bien sûr, une utilisation première et deuxième. Par exemple, moi  les je fais du design à travers des bombes de peinture vides récupérées.  J’en fais des meubles, des tables, des œuvres...

Donc pour moi, au lieu de jeter ces objets, on peut en ressortir une œuvre d’art. C’est de la continuité, de la création, du respect pour l'environnement, une manière de dire à l'autre : tout ce que tu détiens peut avoir une autre vie, une autre utilisation.

J’ai récemment récupéré une baignoire qui devait être jetée, elle sera valorisée comme un tableau, mais utilisée comme un canapé dans un espace hôtelier ou n’importe où. Tout cela, pour dire que l’on ne jette rien, tout ce que l'environnement nous donne, on le réutilise pour le bien-être des populations.

 Les tables de bureau qui se trouvent dans les locaux Doxandem Squad, les fers qu'on  a utilisés pour les faire, c’est de la récupération et pas du neuf. On utilise beaucoup de palettes pour en faire, par exemple,  des dessous de table, tout comme un vieux port en baie vitrée. Donc sur une table, on va avoir 3 matières qui ont été  déjà   utilisées à d'autres fins. Des barils d’huile qu’on utilise pour faire des fauteuils, des tableaux à base  de  sacs de poivre.

De votre constat comment,  le graffiti pour lequel vous êtes bien connu, est perçu au sein de la population ?

Respecté, Adoré, et réclamé tout le temps. Parce que des populations nous sollicitent pour mettre un coup de graffiti sur des murs souillés, après qu’elles aient fini de les nettoyer. En fait, les gens respectent le graff. Et comme on dit, chaque pays,  chaque communauté   a ses références, ses identités culturelles, religieuses et ethniques qui font que lorsque  tu représentes, par exemple, un Mame Cheikh Ibrahima Fall, Serigne Touba, El hadji Malick, Baye Niass ou encore un Cheikh Anta Diop  sur un mur, il est respecté, préservé. Parce que c'est des modèles que les gens respectent, s’identifient à eux. Et même si tu mets une figure lambada, ils vont la respecter.

En plus, même les gens qui ont pris cette habitude d’uriner dans la rue, sur les murs, s'ils voient du graffiti, cela va les en dissuader parce que dans leur esprit le graffiti est synonyme de beauté, propreté et de respect.

 Ibrahima MINTHE