Réduction du coût du loyer : Des doutes planent sur son application

Face à l'augmentation galopante du prix du loyer au Sénégal, surtout dans sa capitale, le chef de l’Etat Macky Sall a pris de nouvelles mesures, allant dans le sens de baisser les prix. Une décision qui fait planer des doutes sur son application effective par les bailleurs.

Réduction du coût du loyer : Des doutes planent sur son application

Dans son adresse à la nation, ce dimanche, le président de la République Macky Sall a annoncé des mesures de baisse relatives aux produits de consommation, mais également du loyer qui connaît une forte augmentation dans le pays.

La baisse s’établit ainsi : 5% sur les prix de 500 000 francs CFA, 10% sur ceux allant de 300 000 à 500 000 francs CFA, et 20% sur ceux inférieurs ou égaux 300 000 francs CFA.

Des mesures  que le président de l'Association de défense des locataires Sénégal accueille « très positivement ». Elimane Sall considère qu'actuellement le prix du loyer au Sénégal dépasse les « normes  surtout dans Dakar ».

« Les prix ont connu une forte flambée, à tel point que les locataires ne pouvaient plus supporter. Si, face à cette situation une mesure pour alléger les populations est prise, nous ne pouvons que l’apprécier, en attendant que le Président signe le décret d'application et que l'on puisse savoir comment cela va se faire », affirme-t-il.

Les Sénégalais dubitatifs

Cette décision de baisse du prix du loyer, bien qu'appréciée au sein de la population, semble ne pas rassurer pour autant. Saidou est locataire au quartier Fass paillote, à Dakar, non loin du marché. La  réduction est une bonne chose pour lui. « Mais la mesure sera-t-elle appliquée convenablement ? », s’interroge cet étudiant d’origine guinéenne. « A vrai dire, je n’y crois pas. Je suis persuadé que la mesure ne va pas aboutir. Les bailleurs ont leurs maisons et fixent les prix comme bon leur semble. Ils savent qu’avec l’affluence des étudiants étrangers à Dakar, des Sénégalais venus des autres régions, la location immobilière connait une spéculation sans commune mesure », ajoute-t-il, résigné.

Pour le président de la Fédération des agences et courtiers immobiliers du Sénégal (Facis), la mesure présidentielle de baisser les prix du loyer est salutaire, « puisqu’il s’agit une demande sociale ».

Éviter les désagréments de 2014

« Mais nous ne voulons pas que les désagréments de 2014 se répètent. Nous étions partis sur des pourcentages, et tout le monde a vu les répercussions qui s'en sont suivies. Pour l'instant, je ne dis rien ; j'attends le décret d'application pour en parler plus amplement », dit Mamadou Mbaye.

La loi de 2014 sur la réduction du coût du loyer a été un échec. Parmi les causes, Elimane Sall cite le manque de suivi notoire sur le terrain, mais également « parce que certains bailleurs disent n’avoir pas été associés à la discussion. De plus, l'on ne pouvait pas les obliger à baisser leurs prix ».

Pour la nouvelle mesure, non plus, les bailleurs n’ont pas été impliqués, à en croire le président de la Facis. « C’est par ce qu'il n'existe pas d’organisation qui les regroupe », fait-il savoir.  « C’est nous les agents immobiliers qui les représentons, alors que la décision finale sur l’application d’un prix leur revient ».

Les solutions d’acteurs du secteur

Il n’est donc pas exclu que de telles situations compromettent la nouvelle mesure, pensent nos interlocuteurs. Pour ne pas en arriver là, Elimane Sall préconise la création d'une « police du loyer » « dans chaque quartier et commune qui se chargera de régler les contentieux entre locataires et bailleurs, sans que personne ne soit dans l’obligation de se rendre au tribunal », suggère-t-il.

Pour Mamadou Mbaye, il existe d’autres moyens pour réduire le prix du loyer. Pas rassuré de l’application effective de la baisse du loyer par les bailleurs, il dit : « Nous avions proposé des solutions à l’Etat : par exemple, réduire les coûts de construction, développer l’habitat social, mieux réglementer ce secteur dans lequel les bailleurs privés dictent leur loi ».

« C’est la faisabilité qui pose problème, pense Mamadou Mbaye, qui a fait partie de la commission sur la réduction du prix du loyer. Selon lui, « la location d’habitat doit être encadrée ».

Pour la grande majorité des locataires se situe dans la tranche 0 à 300 000 francs CFA, qui bénéficie d’une baisse de 20%. « Si on parvient à appliquer la baisse du prix du loyer, cela va, à mon avis, booster le pouvoir d'achat du consommateur », affirme Elimane Sall.

Saidou Diallo, locataire, salue également, savoure déjà à l’idée de d’économiser 20% sur sa charge locative « Cela va me soulager financièrement », dit-il tout en restant sceptique sur son application effective.

Une mesure non sans préjudice

Les effets de la loi de 2014 risquent hantent les esprits. Elimane Sall attire l’attention sur un fait qui pourrait bien compliquer les choses : « La mesure va-t-elle s’appliquer à ceux qui ne sont pas en location actuellement et qui vont en chercher dans les temps à venir ? Faut-il appliquer ces mesures aux bailleurs qui ont respecté la loi de 2014 ? ».

« J’ai un client à qui j’ai appliqué la réduction de 2014. Je ne peux pas encore lui accorder une réduction de 20% », fait savoir le bailleur Mamadou Mbaye. C’est pourquoi, il attend de voir de décret d’application « afin de savoir si l’Etat a pris en compte toutes les préoccupations de tous les acteurs ».

Ibrahima Minthé