INTERVIEW - Djibril Niang, Directeur exécutif JVE : « Il faut sensibiliser les décideurs et pollueurs de demain qui sont les jeunes »

Djibril Niang est un militant pour l’environnement. Directeur exécutif de l’association Jeunes volontaires pour l’environnement (JVE Sénégal), il est lauréat du Prix du jeune le plus influent en matière de changement climatique de l'année 2021 au Sénégal. Par ailleurs nominé parmi les 4 jeunes les plus influents d'Afrique sur les questions de changement climatique par le journal Le Monde. Dans cette interview, il revient sur son adhésion à JVE, son rôle et surtout la place des jeunes dans la lutte contre les problèmes environnementaux que connaît la planète.

INTERVIEW - Djibril Niang, Directeur exécutif JVE : « Il faut sensibiliser les décideurs et pollueurs de demain qui sont les jeunes »

Comment l’association Jeunes volontaires pour l’environnement (JVE) s’est implanté au Sénégal ?

L'association Jeunes volontaires pour l'environnement a été créée au Togo en 2001. Je l’ai intégrée en 2010, année à laquelle elle s’est implantée au Sénégal. J'en suis devenu le directeur en 2013. Donc on peut dire que c'est avec moi que l'association a eu son siège, construit une équipe et également développé des stratégies et des outils pour se positionner dans le domaine de l'environnement au niveau du Sénégal. J'ai vraiment réussi à implanter cette association au Sénégal.

Qu’est ce qui a motivé votre adhésion à telle association ?

J’ai toujours aimé la vie associative.  Depuis le lycée, j’ai toujours été dans des clubs comme président. De même qu’à l’université, j'ai été dans pas mal d’amicales. J’ai grandi en Casamance et mon intégration à JVE pourrait être expliquée aussi par le réveil de cette partie verte que j'ai en moi. Quand on grandit dans cette zone, et qu'on arrive dans une ville comme Dakar, on est parfois choqué. On a envie de retrouver cet espace de vie qu'on avait à l'enfance et c'est ça qui m'a motivé à rejoindre cette association. Mes études sur les énergies renouvelables m’ont aussi beaucoup aidé. Elles m’ont appris qu’aujourd’hui nous sommes en danger et qu'il fallait faire quelque chose pour sauver notre environnement. Et je me suis dit que, peut-être, c'est à travers  cette association que je pourrais contribuer à faire quelque chose pour lutter contre le changement climatique et autres problèmes que connaît l’environnement.

Qu’est-ce que JVE fait concrètement ?

La mission première de JVE est de mobiliser les jeunes sur les questions liées à l'environnement. C'est sa mission phare. Nous intéressons les jeunes aux questions climatiques. Au début, c'était très compliqué, parce qu'il y avait beaucoup de jeunes qui ne s’intéressaient pas à cette question. Nous avons beaucoup discuté avec eux, et avons réussi à amener des jeunes à comprendre et à s'approprier de la cause environnementale. Nous avons essayé de faire grandir l'association par la création de branches locales dans les régions et avons développé des thématiques et commencé à travailler sur des projets concrètement.

 Nous nous sommes dit aussi qu'il faut essayer de travailler sur une nouvelle génération de citoyens. C’est-à-dire, travailler à partir d’une « écogénération » et nous avons compris qu’il fallait commencer avec les plus jeunes. C'est pourquoi nous intervenons beaucoup dans les lycées. Aujourd'hui, nous sommes dans plus de 57 établissements scolaires et 11 universités

Nous avons installé dans tous ces lycées des clubs environnement.  Tous ces établissements n’ont pas encore bénéficié d'un jardin, mais nous en avons installé quelques-uns. Nous avons également fait beaucoup de reboisement avec les enfants, formé des milliers de jeunes sur les questions liées aux changements climatiques.

Nous avons même créer dans certaines régions et dans certaines localités des organisations ou des branches locales qui ne s'occupent que de l'environnement et qui travaillent spécialement sur les questions d'implication des jeunes.

En plus de tout cela, nous travaillons sur les questions de négociation climatique, donc nous faisons aussi partie des rares organisations au Sénégal  qui suivent  les négociations climatiques.  Nous mettons beaucoup de pression, faisons beaucoup de plaidoyers. Nous travaillons aussi sur les questions de biodiversité.

La COP 27 a eu  lieu il y a deux semaines, avez-vous été impliqué d’une manière ou d’une autre ?

La COP 27 est ouverte à tout le monde ! En tant qu’organisation, nous y avons participé. Quatre délégués de notre organisation ont participé à la Cop 27 :  deux garçons et deux filles que nous avons sélectionné. Ils nous ont représenté à travers des partenaires comme Plan international, la Fondation Wangari, Enabel…

Le gouvernement du Sénégal, à travers son ministère de l'Environnement, nous a invités à l’atelier de préparation de la COP. Nous sommes aussi en contact avec des négociateurs et nous sommes membres du comité national pour le changement climatique. Donc nous savons exactement ce que le Sénégal veut et nous avons aussi donné notre contribution.

Cette année, JVE Sénégal a accueilli la caravane africaine « Tambour battant vers la COP 27 ». Nous avons aussi coordonné Dakclim qui regroupe l’ensemble des organisations qui agissent pour le climat. Lors du sommet Climate change, nous avons remis notre déclaration au Premier ministre afin qu’il la transmette au Président de l'Union africaine, notre chef de l’Etat. Nous avons aussi rencontré l'Assemblée nationale et la Banque mondiale qui, d’ailleurs, finance aujourd'hui pas mal de projets nocifs à l'environnement. Nous les avons sensibilisés et c'était ça notre contribution à la COP27.

 « On doit mettre les jeunes en avant »

« Jeunes volontaires pour l’environnement », est-ce à dire pour vous que la lutte contre les problèmes environnementaux doit forcément passer par les jeunes ?

C'est une nécessité ! Aujourd’hui, on ne doit même pas attendre que les jeunes réclament des places dans les processus de négociation. On doit les mettre en avant.  Quand on parle de changement climatique et que l’on parle d'horizon, on pense aux jeunes.  Qui sera là d’ici 40 ans voire 50 ans ? Ce ne sont pas ces gens-là qui aujoued’hui  ont 60, 70, 80 ans et qui négocient à nos noms. Il y a cette phrase qui dit : « tout ce qui se fait pour moi sans moi est fait contre moi ». Donc aujourd'hui c'est une génération qui est dépassée, qui a détruit le monde, qui est en train de réfléchir à corriger cette erreur sans la génération qui va assister à cette destruction-là.  Et je pense qu’aujourd’hui, il est nécessaire d'impliquer les jeunes, parce qu’ils sont les garants de la continuité. Donc je pense que c'est maintenant que les jeunes doivent comprendre le processus, les mécanismes afin de s'approprier ces questions environnementales.

Donc s’ils comprennent dès maintenant, ils peuvent dans l’avenir corriger ces problèmes. C’est chez les jeunes et les enfants que se trouvent les décideurs et pollueurs que nous devons sensibiliser pour qu'ils puissent assumer leurs responsabilités dès maintenant, avant qu’ils ne soient, demain, à  la tête des entreprises et pays qui sont en train de polluer le monde.

 Si nous travaillons aujourd'hui sur la jeunesse et les enfants, nous serons sûrs que demain nous aurons une éco génération. Maintenant si nous continuons à sensibiliser juste les décideurs, dans 20 ans nous allons échouer, parce que nous savons où se trouvent les décideurs de demain.

Au Sénégal pensez-vous que les jeunes s’approprient ces questions environnementales ?

En 2010, quand nous avons créé JVE Sénégal, nous étions trois ou quatre organisations de jeunes. En 2013, quand j'ai pris les reines, j'ai essayé de travailler avec des organisations de jeunes. Cette année, nous avons conduit une étude avec Oxfam et l'association AGIE, et nous avons vu qu'au niveau national, il y avait plus de 700 associations de jeunes qui travaillent dans l'environnement. Ça on ne l’avait pas il y a 10 ans. Aujourd'hui, force est de constater qu'il y a de plus en plus de jeunes qui sont sensibilisés sur ces questions climatiques. Dans tous les coins et les recoins du Sénégal, il y a des associations qui travaillent pour la promotion et le bien-être. Donc les jeunes sont de plus en plus impliqués. Ils ont compris que c'est leur avenir qui est en jeu. Les associations grandissent maintenant certes, mais elles ont besoin d'être encadrées.

Que signifie être militant pour l’environnement dans un pays comme le Sénégal ?

Être militant pour l’environnement au Sénégal, c’est être dans un monde où les gens comprennent certaines questions, mais font le contraire. Être militant aujourd'hui dans le domaine de l'environnement est très compliqué au Sénégal. Parce que les décideurs vous écoutent lorsque vous dites des choses qui les arrangent.

Au niveau de la presse aussi, parfois c’est très compliqué parce qu’il est difficile d’orienter la presse sur  les questions de l'environnement. Il n’est pas facile de trouver des émissions.

Il faut quand même reconnaître que le ministère de l'Environnement est en train de faire de son mieux pour se rapprocher de ces organisations-là. Nous interpellons toutefois  le  président de la République directement, parce qu’aujourd'hui, sur beaucoup de choses, il faut son implication directe.

Ibrahima MINTHE