BIRAME FAYE : « Un pays qui cultive pendant 3 ou 4 mois par an, ne pourra jamais atteindre l'autosuffisance, encore moins d’avoir la souveraineté alimentaire »

Birame Faye est le Coordonnateur régional média à l’Institut Panos Afrique de l’Ouest. Il a eu à coordonner un programme agricole qui s’intitule « Agriculture familiale durable » à l’Ong Innovation Environnement Développement Afrique (Ied). A travers ce programme, il a participé à la revue conjointe du secteur agricole et à la formulation des politiques dans ce secteur. Dans cette interview, il nous parle des pratiques que doivent adopter les Etats africains pour rendre leur agriculture plus performante, sans manquer de lever l’équivoque sur les termes souveraineté, autosuffisance et sécurité alimentaire.

BIRAME FAYE : « Un pays qui cultive pendant 3 ou 4 mois par an,  ne pourra jamais atteindre l'autosuffisance, encore moins  d’avoir la souveraineté alimentaire »

Quel regard portez-vous sur l'agriculture en Afrique et particulièrement au Sénégal ?

 L’agriculture africaine est d'abord de type familial. Et malheureusement, les gens ont tendance à l'oublier pour favoriser l'agrobusiness. C’est-à-dire, plus de 90% de nos exploitations agricoles sont de type familial. Et cette agriculture même assure la nourriture des populations à près de 80%, selon les rapports officiels. Il y a un rapport de la CEDEAO qui l'a établi en 2014 qui était l'année de l'agriculture familiale dans le monde.  Le rapport de la FAO l’avait également démontré. Maintenant, cette agriculture fait face à plusieurs défis : il y a la question de de la modernisation de l'exploitation agricole familiale, la fixation même des jeunes dans le secteur agricole. Mais aussi  des menaces liées au changement climatique, alors que nous avons une agriculture pluviale qui dépend de la saison des pluies.

S’y ajoute aussi l'accaparement des terres et l'arrivée des agrobusiness. L’un dans l'autre, l'objectif, au sens large, c'est de parvenir à nourrir la population. Mais cette agriculture africaine aujourd'hui, ne parvient pas, globalement, à nourrir les Africains.

Lors du sommet Dakar 2, les dirigeants ont beaucoup insisté sur la souveraineté alimentaire. « L’Afrique doit se nourrir par elle-même et nourrir le reste du monde », a dit, par exemple, le président Macky Sall. Pensez-vous que l’on peut atteindre un tel objectif ?

D’abord, il y a une nuance  qu'il faut lever : il y a une confusion terrible entre souveraineté alimentaire, autosuffisance alimentaire et sécurité alimentaire. La  souveraineté alimentaire à une dimension très politique : c'est la possibilité pour un État de définir sa propre politique agricole et alimentaire. Donc, c'est au niveau politique parce qu’en fait, l'État est souverain pour définir ce qu'il veut manger, ce qu'il veut produire et y mettre les moyens, sans influences extérieures. Donc c'est une question de souveraineté qui se pose.

Ce que Macky Sall a indiqué lors du ce sommet, c'est une question d'autosuffisance alimentaire, c'est-à-dire amener nos pays à produire suffisamment de sorte à  satisfaire la demande alimentaire au niveau national et africain, et s'il y a un surplus, de pouvoir le vendre au niveau mondial.

Maintenant, la sécurité alimentaire pose le problème de  la disponibilité des aliments. Donc que ces aliments soient cultivés ici, en Casamance, à en Inde ou en Europe, l'essentiel est que la population qui a besoin de nourriture puisse en trouver sur place. Par conséquent, la sécurité alimentaire n'exclut pas l'importation.

Comment faire pour atteindre l’autosuffisance alimentaire dans nos pays ?

Il y a une volonté politique très forte qu'il faut affirmer qui doit se traduire dans le choix même des investissements à faire dans le secteur agricole. Aujourd'hui, si je prends l'exemple du Sénégal, c’est des campagnes agricoles pendant 3 ou 4 mois d’hivernage : l’Etat  prépare des semences, des intrants, ce qui est un appui à la production. Maintenant, une fois la campagne terminée, il lance la commercialisation.

Or, un pays qui cultive globalement pendant 3 mois ou 4, ne pourra jamais atteindre l'autosuffisance, encore moins d’avoir une souveraineté alimentaire. Au moins, essayons  de cultiver pendant 7, 8 mois sur 12. La seule condition, c’est la maîtrise de l’eau.

Si vraiment on veut atteindre la souveraineté de façon pratique, concrète, sur le terrain, il faut que les paysans arrivent à faire 2 ou 3 campagnes par an. Autrement, l’autosuffisance alimentaire dont on parle va rester un rêve.

Par Ibrahima MINTHE