KINÉ GUEYE NGOM, CHERCHEUSE ET SPÉCIALISTE EN COMMUNICATION ENVIRONNEMENTALE : « Une bonne communication autour de l’exploitation des hydrocarbures peut être un outil pour la prévention des impacts environnementaux »

Kiné Gueye Ngom est Chercheuse et spécialiste en communication environnementale. Doctorante, ses études portent sur les enjeux sur l’écologie marine de la transparence de la communication sur le gaz offshore au Sénégal. Elle revient sur les impacts de l’exploitation des hydrocarbures notamment sur l'environnement et d’autres secteurs d’activité comme l’agriculture, la pêche et l’élevage.

KINÉ GUEYE NGOM, CHERCHEUSE ET SPÉCIALISTE EN COMMUNICATION ENVIRONNEMENTALE : « Une bonne communication autour de l’exploitation des hydrocarbures peut être un outil pour la prévention des impacts environnementaux »

L’exploitation des hydrocarbures au Sénégal est prévue au courant de cette année 2023. Cela crée beaucoup d’enthousiasme. Faut-il en même temps craindre des impacts environnementaux qui pourraient en découler ?

Pour un pays comme le Sénégal, d’un point de vue économique et social, l’exploitation des ressources en hydrocarbure se présente comme une aubaine. L’exploitation des gisements des ressources minérales est à même de favoriser la croissance économique et le développement des populations au travers de plusieurs facteurs à savoir : les recettes fiscales et revenus pour le gouvernement et les communautés locales, la création de nouvelles opportunités de formations et d’emplois, le développement des infrastructures et des services publics, l’encouragement à la recherche et à l’innovation, le développement durable, la préservation de l’environnement, la diversification des sources d’énergie et l’amélioration du potentiel attractif du pays du vis-à-vis des investisseurs. Pour atteindre tels objectifs, le Sénégal a mis en œuvre un arsenal de politiques publiques et de réglementations pour bien gouverner l’exploitation des ressources naturelles. Ces politiques et réglementations comprennent des mesures pour assurer la transparence et la responsabilité dans tous les aspects de la gouvernance, en vue d’assurer une gestion efficace des ressources, garantir la paix et la sécurité, préserver l’environnement et assurer la compétitivité du pays face au marché international. Cependant, il est à noter que les projets d’extraction de ressources pétrolières et gazières présentent de forts risques environnementaux pouvant entraîner des dégâts sur l’écosystème et les ressources marines, des pollutions atmosphériques et la santé humaine.

Comment l’exploitation de ces ressources peut-elle impacter sur l’environnement ?

L’exploitation des ressources en hydrocarbure peut impacter négativement sur l’environnement. L’exploitation de combustibles fossiles nécessite des installations maritimes, à long terme pour le forage, la production, le stockage et de traitement, qui apportent d’importantes modifications dans le milieu marin susceptibles d’affecter les conditions de vie des espèces maritimes. Lors de la phase de transport des hydrocarbures, extraits dans les profondeurs marines, peuvent se produire des accidents dévastateurs pour l’environnement. Par ailleurs, l’activité extractive en mer peut impacter lourdement à travers des rejets de produits chimiques et de matières en suspension dans l'eau, ce qui peut avoir des corollaires sur la santé et la disponibilité des ressources halieutiques. En fait, la contamination des eaux marines par des agents chimiques peut provoquer la destruction des habitats et de la flore marine, la mort de la faune marine, et la pollution de l’air et des sols littoraux. La santé des populations, notamment côtières, partie intégrante et dépendante de l’environnement, risque de subir les effets nocifs des pollutions marines.

Parmi l’histoire des plus grandes catastrophes liées à l’exploitation de gisements pétro-gaziers en mer, nous pouvons citer la marée noire de l’Amoco Cadiz en 1978, l’Exxon Valdez en 1989 et le Deepwater Horizon en 2010. Ces projets extractifs ont eu des impacts écologiques considérables sur les écosystèmes marins et littoraux.

La rigueur d’une étude d’impact environnemental et social dépend de la qualité et de la quantité des données recueillies et analysées, de la méthodologie utilisée…

Actuellement, pensez-vous qu’il est effectué au Sénégal une étude d’impact environnemental rigoureuse de sorte que ces hydrocarbures ne puissent détruire notre environnement ?

Il m’est impossible de répondre à cette question avec précision. Ce qui est sûr c’est que pour les projets gaziers menés par la compagnie BP exploitant, les puits Gueumbeul 1 dans le bloc de Saint-Louis offshore profond et Teranga 1 situé dans le bloc Cayar Offshore Profond, une Étude d’Impact Environnemental et Social a été réalisée pendant la phase exploratoire pour évaluer et mettre en place des stratégies afin de  minimiser les impacts potentiels du projet extractif sur les communautés et l’environnement. Pour le puits Gueumbeul 1 dans le bloc de Saint-Louis offshore profond, une deuxième Étude d’Impact Environnemental et Social a été faite pendant la phase de développement actuelle.

La rigueur d’une Étude d’Impact Environnemental et Social dépend de la qualité et de la quantité des données recueillies et analysées, de la méthodologie utilisée pour évaluer ces données et de la pertinence des conclusions tirées. Pour être rigoureuse, elle doit être aussi menée par des experts qualifiés et doit inclure des méthodes d’échantillonnage et d’analyse appropriées, des tests statistiques et des modèles pour évaluer les impacts socio-environnementaux potentiels. Les résultats doivent être documentés et communiqués de manière claire et concise. Et selon les rapports disponibles, les Études d’Impact Environnemental et Social orchestrées par BP sont rigoureuses. Ces études ont été réalisées par des sociétés internationales d’experts-conseils. Les rapports présentent une méthodologie rigoureuse et cohérente, une démarche respectueuse des normes et législations environnementales et sociales applicables, des données qualitatives et quantitatives, et des résultats très bien documentés. De surcroît, les résultats sont communiqués de façon détaillée dans les rapports. Tous les rapports sur les Études d’Impact Environnemental et Social sont disponibles et consultables à la Direction de l’Environnement et des Établissements Classés (DEEC), dans les Divisions Régionales de l’Environnement et des Établissements Classés (DREEC) de Saint-Louis et de Thiès, et dans les mairies de Saint-Louis et de Cayar. Des efforts ont été aussi faits par les acteurs pour sensibiliser les populations locales aux risques environnementaux et pour encourager les pratiques durables et respectueuses de l’environnement.

Pour l’heure, il est impossible de confirmer que les activités extractives en cours ont des impacts sur les activités agricoles, d’élevage et de pêche

Faut-il également craindre que l’exploitation compromette la production dans des secteurs comme l’agriculture, la pêche et l’élevage ?

Oui, l’expérience d’autres pays a démontré que l’exploitation d’hydrocarbure en mer peut compromettre les activités agricoles, de pêche et d’élevage. S’il y a rejet de produits chimiques et de métaux lourds dans l’eau, les sols et les eaux souterraines peuvent être contaminés. Ce qui peut dès lors entraîner une baisse de la qualité des sols et des récoltes affectant ainsi le secteur de l’agriculture. De même, les activités extractives en mer peuvent également produire des perturbations physiques telles que les changements de courants et de la qualité de l’eau, ainsi que les bruits, les vibrations et les lumières provenant des installations de forage et de production. Ces changements au niveau des habitats et des conditions de vie des de la biodiversité marine affectent le comportement, la santé et la vie des animaux rendant difficile la pratique de l’activité de l’élevage et de la pêche.

Pour l’heure, il est impossible de confirmer que les activités extractives en cours ont des impacts sur les activités agricoles, d’élevage et de pêche. D’ailleurs, à ma connaissance, aucune étude scientifique n’a été faite pour l’instant à ce sujet. Toutefois, lors d’une étude de perception que nous avons menée entre 2019 et 2021 à Cayar et à Saint-Louis, les pêcheurs interviewés nous ont affirmé avoir déjà constaté un phénomène de raréfaction des poissons et de recul de leur principale activité socio-économique dû, selon eux, aux activités d’exploration en vue de l’exploitation du gaz offshore.

Selon vous, comment faire en sorte que l’exploitation de ces ressources se déroule sans que l’environnement n’en subisse les conséquences de façon très significative ?

Il faut admettre que le gouvernement du Sénégal a fait preuve d’une grande volonté politique inspirée de l’expérience de gouvernance d’autres pays pour la réussite des projets extractifs et pour escamoter les risques de malédiction des ressources naturelles. En effet, le gouvernement a apporté des innovations sur les plans institutionnel, politique et juridique qui méritent d’être mentionnées. Ces mesures de bonne gouvernance des ressources pétrolières et gazières confortent un processus de gouverner dans la transparence les ressources naturelles enclenché en 2013 par l’adhésion du pays à l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractive (ITIE).

Pour atteindre les résultats escomptés dans les projets d’extraction d’hydrocarbure, il est important pour le gouvernement d’établir un dispositif de suivi et de contrôle du respect des normes environnementales par les compagnies pétrolières. Il est important aussi que les compagnies pétrolières et l’État renforcent la communication publique en vue d’informer et de sensibiliser les populations aux enjeux socio-économiques et environnementaux de l’exploitation des ressources naturelles. À toutes les phases de l’exploitation, la communication est un des leviers phares à même de prouver l’effort de transparence dans la gouvernance et de garantir la stabilité sociale. La communication peut prendre différentes formes, telles que des réunions et débats publics, des consultations, des bulletins d’information, des médias sociaux, des conférences de presse, des communiqués de presse. Pour ce faire, toutes les parties prenantes, notamment la société civile, les médias et les universitaires doivent être associés à la gouvernance au travers de matériaux de communication appropriés impliquant des mécanismes de reddition de comptes et de responsabilisation. Car ces acteurs doivent être en mesure de participer activement à la prise de décision et à la mise en œuvre des plans et des politiques, surtout en matière de protection de l’environnement. Si la communication autour de l’exploitation des hydrocarbures est participative et transparente, elle peut être un outil contribuant à la prévention des impacts environnementaux. Mais ceci n’est réalisable que si la volonté de gouvernance participative dont fait preuve l’État et les compagnies pétrolières ne s’arrête pas à un simple discours.

Entretien réalisé par Ibrahima MINTHE